Bordeaux Aquitaine Marine
La manufacture royale des Landes
Robert
AUFAN
est
l’auteur
d’une
passionnante
encyclopédie
sur
les
résineux
des
Landes
que
vous
pourrez
découvrir
sur
son
site
:
http://lesproduitsresineux.free.fr
Heurs et malheurs de la manufacture (1663-1686)
1. La création de la Manufacture Royale
C'est
en
1663
que
Joseph
Lombard,
Commissaire
de
la
Marine
à
Bordeaux,
mandaté
par
Colbert
du
Terron,
Intendant
de
la
Marine
à
Rochefort
et
cousin
du
ministre,
se
rend
à
La
Teste
(1).
Il
est
accompagné
de
deux
Suédois,
Peter
Ericson
et
son
valet
Hendrick
Joos,
qui
ont
été
recrutés
pour
enseigner
aux
gens
du
pays
ce
que
ces
derniers
savaient
déjà
faire
:
produire
du
goudron.
Mais
c'est
une
autre
technique,
celle
des
hourns
de
gaze
qu'il
enseigna
sur
une
parcelle
appartenant
au
Sieur
de
Caupos
(2)
dont
nous avons vu, dans l’annexe 1, l’intérêt qu’elle porte au négoce des produits résineux.
Nous
ne
connaissons
pas
le
contrat
qui
liait
ce
«
faiseur
de
goudron
»
sauf
qu'en
1664
il
réclama
3
fromages
de
Hollande
et
une
paire
de
souliers;
par
contre
nous
savons
ce
que
toucha
son
successeur
Elias
Alh,
arrivé
en
août
1666
:
il
reçut
une
pension
de
2.000
livres,
1.200
livres
de
frais
de
séjour
et
6.000
livres
de
dot
payée
par
le
gouvernement,
lorsqu'
il
épousa
la
fille
d'un
Taffard,
autre grand propriétaire testerin.
A
titre
de
comparaison,
la
construction
d'un
bateau
de
185
tonneaux,
La
Ville
de
Bordeaux,
coûte
en
1671,
26.000
livres,
les
gages
des
compagnons
forgerons
sont
en
1667
de
4
livres
par
mois
et
le
Secrétaire
de
M.
de
Pontac,
propriétaire
du
château
Haut
Brion, gagne 200 livres par an en 1689 !
Il
faut
croire
pourtant
que
cela
ne
lui
suffisait
pas
puisqu'en
1671,
Alh,
décrit
comme
«buveur
de
vin,
d'eau-de-vie
assaisonnée
de
poudre
et
fumeur
de
pipe»,
s'embarqua
à
Rochefort
avec
la
caisse
de
la
Compagnie,
21.000
livres,
et
disparut
(...
Justice
divine
!)
dans
un
naufrage
au
large
du
Poitou
(5).
Peter
Ericson
était
mort
à
Linxe
en
octobre
1664
non
sans
avoir
chez
le
sieur du Coussou, grand-père des Desbiey, enseigné son art et construit un four suédois (6) dont nous avons retrouvé la trace.
Sa
correspondance,
en
particulier
une
lettre
du
12
septembre
1664
(7),
nous
apprend
qu'il
a
aussi
construit
un
four
à
Lacanau
mais
que
la
qualité
des
pins
y
étant
médiocre,
c'est
surtout
à
La
Teste
et
à
Biscarrosse
qu'il
a
connu
le
succès
puisqu'une
dizaine
de
fours
y
sont
alors
installés
et
produisent
déjà,
en
exécution
du
contrat
passé,
au
prix
de
12
livres
le
baril
de
122,5
kg
ou
24
livres
la
barrique
de
249
kg,
jauge
de
Bordeaux.
La
capacité
de
production
des
fours
de
La
Teste
et
Biscarrosse
varie
de
6
à
12
barils
par
cuisson
avec
une
moyenne
de
10
barils,
ce
qu
laisse
entrevoir
une
activité
lucrative.
Dès
juin
1664,
100
barils,
soit
12,5
tonnes,partent pour les chantiers et corderies de la Charente.
C'est
pourquoi
Caupos
{sur
les
80
fours
recensés
en
1672,
il
en
possède
la
moitié)
s'empresse
de
percevoir
11
sols
par
baril
porté
dans
ses
propres
magasins
de
La
Teste.
Le
Captal
tente
{mais
il
est
empêché
par
l'Intendant
Pellot),
de
percevoir
40
sols
par
baril,
exigeant
de
plus
un
millier
de
résine
pour
chaque
emplacement
de
four.
Si
l'on
ajoute
le
prix
du
charroi
de
La
Teste
à
Bordeaux
(12
sols),
et
la
difficulté
de
trouver
du
gazon
pour
couvrir
le
feu,
cela
rendait
l'entreprise
aléatoire
et,
comme
le
dit
Ericson, le goudron plus cher que celui de Suède.
A
cette
époque
c’est
Elias
Alh
qui
surveille
les
opérations
;
recruté
en
1665,
il
avait
dirigé
en
Provence
la
Manufacture
Royale
de
Vidauban
avant
d'être
nommé
«
Inspecteur
des
faiseurs
de
goudron
»
pour
l'ensemble
du
royaume
;
Alh,
après
avoir
séjourné
à
La
Teste
à
partir
de
septembre
1666,
alla
contrôler
à
Bayonne
la
production.
L'intérêt
de
son
séjour
à
La
Teste
réside
dans
les
observations
qu'il
fit
le
20
novembre:
il
constate
que
les
goudronnières
y
sont
de
faible
ou
médiocre
capacité
et
que
leur
nombre
est
excessif,
tandis
que,
dans
d'autres
correspondances,
il
signale
la
tendance
à
faire
brûler
n'importe
quel
bois
au
détriment
de
la
qualité, le goudron étant ainsi trop cassant.
C'est
pourquoi,
pour
redresser
la
situation,
en
1672,
Lombard,
sur
les
instances
de
l'intendant
d'Aguesseau,
envoie
son
fils
en
tournée
d'inspection:
il
recense
alors
195
installations
pouvant
produire
3617
barils
soit
à
peu
près
420
tonnes.
Sur
ce
total,
les
montagnes
de
La
Teste
et
Biscarrosse
représentent
28%
avec
80
fours,
le
secteur
Pissos-Lipostey
plus
accessible
par
la
route
et
par
la Leyre, 60%, le sud du Born et le secteur de Parentis, 12%.
A
supposer
que
ces
capacités
de
production
aient
été
atteintes
(car
le
rapport
ne
fait
pas
de
différences
entre
hourns
traditionnels
et
hourns
de
gaze
alors
que
ce
dernier
type
n’a
pas
été
retrouvé
dans
les
forêts
de
La
Teste
et
Biscarrosse),
cela
n’aurait
représenté
que
la
moitié
de
la
consommation
française.
C'est
pourquoi
les
importations
de
goudron
suédois
continuèrent,
d'autant
plus
qu'un
traité
commercial
du
30
décembre
1662
exemptait
de
taxes
les
bateaux
nordiques
tant
à
Bordeaux
qu'à
La
Rochelle, et que le prix du goudron suédois restait inférieur: 11 livres au lieu de 12 en 1677.
C'est
ainsi
que
Rochefort
continua
à
recevoir
du
goudron
suédois
par
l'intermédiaire
de
la
Compagnie
du
Nord.
On
sait
qu'en
1671
Colbert
du
Terron
déplorait
l'arrivée
de
690
barils.
Il
craignait
que
la
Manufacture
fût
concurrencée.
Il
se
félicita
l'année
suivante,
après
la
fuite
d'Elias
Alh,
d'en
recevoir
800
et,
convaincu
des
incertitudes
de
l'entreprise
landaise,
il
en
réclama
1.800
en
1683.
La
production
augmenta
cependant
sensiblement
à
en
croire
les
quantités
stockées
à
Rochefort
:
450
barils
en
1673,
590
en
1676,
1244
en
1682
(8),
tandis
qu'en
1690
de
mai
à
septembre
128
barils
partirent
d'Arcachon
et
230
par
Bordeaux
qui,
sur
l'année, en expédia 1417, soit 17 tonnes.
Cette
activité
«
manufacturière
»,
bien
que
n'occupant
que
peu
de
monde
(180
personnes
en
1672),
procurait
donc
un
complément
de
revenus
d'autant
qu'en
vertu
du
Tarif
de
1664
les
goudrons
étaient
exemptés
de
droits
d'entrée
dans
les
provinces
du
royaume.
C'est
dans
ce
contexte
que
le
16
septembre
1680,
la
veuve
de
Jean
de
Caupos,
dame
Elisabeth
de
Baleste,
confirma
aux
seuls
propriétaires
de
parcelles
de
la
montagne
usagère
de
Biscarrosse
le
«
droit
de
faire
gemme,
résine
et
goudron,chacun
dans son fonds ».
Cette
activité
lucrative
était
donc
réservée
aux
seuls
tenans-pins.
Cette
«
montagne
»
n’était,
à
l’époque,
que
la
continuation
de
celle
de
La
Teste
;
elles
ne
furent
séparées
par
l’avancée
des
sables
qu’à
la
fin
du
XVIII°
siècle.
Il
est
d'ailleurs
étonnant
de
constater
que
la
mention
des
goudrons
ne
soit
jamais
apparue
dans
les
transactions
concernant
la
Montagne
usagère
de
La
Teste
dont
les
tenans-pins
avaient
été
reconnus
beaucoup
plus
tôt,
dès
1604.
Cela
devait
aller
de
soi
parce
que
seul
le
pin
mort
servait
à
fabriquer le goudron; le pin vif était usager et cela devait être un frein sérieux aux efforts de développement.
2. les besoins de la marine
Jusque
vers
1686,
les
besoins
de
la
guerre
et
de
la
marine
avaient
stimulé
la
production
puisque
de
18
vaisseaux
et
6
galères
en
1661,
la
flotte
comptait
en
1670,
120
vaisseaux
et
35
frégates
sur
l'Atlantique
plus
une
trentaine
de
galères
en
Méditerranée
et
s'élevait
en
1683
à
plus
de
250
bâtiments
compte
tenu
des
flottes
auxiliaires
de
corsaires
(9).
On
employait
en
effet
énormément
de
produits
résineux
dans
les
arsenaux
:
en
1687,
pour
radouber
Le
Superbe,
vaisseau
de
1300
tonneaux,
on
consomma
à
Rochefort 50 barils de bray, 26 de goudron, 5 milliers* de brai sec, 1000 livres de suif et 10.000 livres d'étoupe.
Pour l'armement des bateaux neufs, on consommait :
goudron brai
- vaisseau de 1er rang (1400 à 2000 tx, 3 ponts) 55 qx 90 qx
- vaisseau de 3e rang (800 à 900 tx, 2 ponts) 37 64
- frégates légères (200 tx) 24 35
Le
brai
sec
était
employé
pour
le
carénage,le
goudron
pour
les
cordages
(il
fallait
6.800
milliers
de
cordage
pour
un
vaisseau
de
74
canons), le brai gras pour le calfatage. Sans compter les produits embarqués qui serviraient pendant la navigation :
brai goudron
-vaisseau de 1er rang ........................................8 quintaux ... 12 barils
- vaisseau moyen ...............................................6 qx................ 8 barils
- frégate......................................................................................4 barils
- flûte ...................................................................2qx................3 barils
- brûlot........................................................................................2 barils
auxquels étaient joints une chaudière, un pot à brai et de l'étoupe (10).
C'est
pourquoi
il
était
indispensable
d'alimenter
en
goudron
les
arsenaux
de
Brest,
Rochefort
et
Toulon
et
de
développer
les
Manufactures
Royales
d’autant
que
la
Suède,
principal
fournisseur,
passa
de
1668
à
1672
dans
le
camp
anglo-hollandais,
avant
de
renouer
ensuite
avec
la
France,
puis
de
se
lancer
jusqu'en
1679
dans
une
guerre
contre
le
Brandebourg.
Cette
période,
à
cause
du
bouleversement
des
trafics
habituels
et
des
nécessités
de
la
construction
navale
avait
donc
vu,
sous
l'effet
d'une
politique
volontariste, menée par Colbert, prospérer la Manufacture. Mais cette époque était révolue.
3. Les difficultés de la Manufacture
La
carte
dressée
par
Monsieur
de
Clerville
en
1677
,
dresse
un
état
des
forêts
à
la
fin
du
XVIIe
siècle.
Il
confirme
ce
que
les
textes
nous
ont
appris,
à
savoir
la
faiblesse
des
forêts
en
Médoc,
Buch
et
Born
où
seules
sont
importantes
les
forêts
sur
dunes
anciennes
(à
l’ouest
des
étangs)
derniers
vestiges
de
l’ancien
massif
forestier
côtier
submergé
de
plus
en
plus
par
la
poussée
des
dunes
barkhanoïdes*
de
sables
blancs
(les
semis
systématiques
des
dunes
ne
commenceront
qu’en
1787
à
La
Teste
de
Buch),
tandis
qu’à
l’est
domine
la
lande.
Elles
nous
confirme
aussi
l’importance
des
forêts
du
Marensin
où
les
étendues
de
landes
sont
plus réduites.
Quant
aux
fours
à
goudron,
leur
localisation
nous
indique
que
seule
la
forêt
de
La
Teste-Biscarrosse
comporte
encore
des
fours
en
activité
;
en
Marensin,
ils
sont
très
rares
(mais
celui
de
Linxe
fonctionne
encore),
ce
qui
voudrait
dire
que
la
production
s’y
est
développée
plus
tard,
comme
nous
le
verrons,
tandis
qu’en
Médoc,
il
n’y
en
a
pas,
ce
qui
correspond
aux
dires
des
brûleurs
de
goudron suédois.
Cela
est
confirmé
en
1686
par
le
mémoire
du
sieur
Martin
(11)
qui
nous
apprend
en
effet
que,
dès
1680,
sur
les
195
fours
initiaux,
il
n'en
restait
que
52
en
fonction,
écoulant
à
chaque
cuite
830
barils
(207
tonnes)
et
qu'en
1686
les
fours
sont
pour
la
plupart
détruits
et
on
n'en
trouve
qu'un
ou
deux
dans
la
région
de
Pissos
qui,
dit-il,
«brûlent
de
temps
en
temps».
Cela
pourrait
expliquer
le
vide
archéologique
que
nous
avons
constaté
en
pays
de
Buch
pour
le
XVIIe
siècle
en
ce
qui
concerne
les
fours
suédois,
la
destruction
des
fours
permettant
souvent
le
réemploi
des
matériaux
comme
fondations
des
cabanes
construites
ultérieurement,
fait que nous avons constaté plusieurs fois.
Cela
pourrait
expliquer
aussi
la
médiocrité
des
expéditions
de
goudron
par
Bordeaux
qui
a
été
soulignée
par
Ch.
Huetz
de
Lemps
pour
la
période
16981699
:
462
barils
exportés
contre
842
barils
et
6
tonneaux
importés
(12)
.
Mais
ces
chiffres
ne
concernent
pas
les
caboteurs
testerins
qui
ne
«
montent
»
jamais
à
Bordeaux,
comme
l'a
si
bien
souligné
le
Professeur
Bernard
(13).
Cette
situation catastrophique était d'abord due selon Martin à :
-
des
raisons
commerciales
:
L'attitude
des
négociants
bordelais
préférant,
pour
sauvegarder
leurs
intérêts
et
leurs
liens
avec
des
négociants
étrangers,
hollandais
surtout,
vendre
à
perte
du
goudron
importé
pour
casser
la
concurrence.
Le
prix
des
goudrons
étrangers
du
Nord
qui
«lorsque
la
mer
est
libre
reviennent
à
7
ou
8
livres
le
baril»
au
lieu
de
12
pour
les
landais
;
en
1686,
la
guerre
de Hollande est en effet terminée (1672-1679) et Colbert est mort depuis trois ans.
-
la
qualité
des
goudrons
:
La
qualité
des
goudrons
locaux
est
souvent
incriminée:
outre
le
fait
que
les
goudrons
de
Buch
«
durcissent
l'hiver
parce
que
les
arbres
sont
trop
gommeux
»,
ce
que
Lombard
avait
déjà
signalé,
c'est
le
peu
de
soin
apporté
à
la
fabrication
et
la
fraude
sur
les
poids
qui
sont
soulignés.
Les
paysans
sont
accusés
de
mêler
à
leur
goudron
de
la
bouse
de
vache,
de
ne
prendre
aucun
soin
pour
le
bray
gras
qui,
utilisé
pour
les
coutures,
est
trop
sec
ou
trop
liquide,
sans
consistance,
si
bien
que
l'eau
pénètre
les
cales
des
navires
ou
«qu'il
prend
aux
pieds»
lorsqu'on
marche
dessus;
tout
ceci
étant
dû
au
mauvais
choix
des
bois,
à
l'introduction
dans
les
fours
de
produits
interdits
{écorces,
croûtes
de
pins,
galips*...),
au
fait
enfin
que
le
gazon
étant
trop
«sablonneux», le sable se mêlait au goudron.
Le
10
septembre
1703,
l'Intendant
la
Bourdonnaye
est
obligé
d'interdire
aux
gens
de
Salles
d'utiliser
des
barils
non
conformes
et
d'ajouter
du
sable
à
leurs
goudrons
et
brays,
ce
qui
en
augmentait
le
poids
(14)
.
De
même
en
1725,
une
déclaration
royale
s'insurge
contre
le
fait
que
«dans
les
barils
de
goudron
et
de
bray
gras
on
ajoute
tellement
de
pierres
et
de
sable
que
le
poids
réel
n'est
souvent
que
de
100
livres
au
lieu
des
250
légaux».
On
menace
même
de
destruction
des
fours
et
de
300
livres
d'amende
ceux
qui
brûleraient
des
ourles
(pour
le
bray
gras)
en
même
temps
que
les
bois
destinés
au
goudron
(15).
On
impose
une
marque
sur
chaque
fond
de
baril
afin
d'en
indiquer
la
provenance
à
peine
de
confiscation
et
d'une
amende
de
41
ivres
{la
moitié
pour
le
Roi,
la
moitié
pour
les
hôpitaux)
ainsi
que
l'obligation
de
passer
par
Arcachon,
Dax
ou
Bayonne
où
des
inspecteurs
délivrent
des
certificats
(16).
C'est
devenu
un
vrai
fléau
au
XVIII°
siècle
car,
en
1760
encore,
le
Contrôleur
Général
Bertin
écrit
à
Tourny
qu'il
faut
surveiller
le
Marensin
et
le
marché
de
Dax
car
le
bray
gras
est
fabriqué
«
avec
des
matières
dont
on
a
extrait
l'huile
de
térébenthine
et
dans
lesquelles
on
laisse
souvent
des
terres
et
des
sables
pour
les
faire
peser
plus
lourd
»
(16
bis).
En
1776
(17)
les
négociants
de
Bayonne
semblent
exclure
les
goudrons
des
fraudes
qu'ils
dénoncent;
tout
cela
prouve
que
l'ordonnance
de
l'Intendant
d'Aguesseau
(18)
de
1672
n'a
pas
été
respectée
malgré
la
précision
des
consignes
données.
Notons
d'ailleurs
qu'après
la
Révolution
la
«vertu»
n'est
toujours
pas
de
rigueur
puisque
le
17
septembre
1807,
le
maire
de
La
Teste
(19)
augmente
les
tarifs
du
bureau
de
pesage
à
cause
«d'abus
dans
la
fabrication»
et
menace
de
saisie
les«résines
ou
brais
reconnus
fraudés
de
sable
ou
autre
terre ultérieurement».
Le
sieur
Martin
se
plaint
aussi
de
ce
que
la
pénurie
de
tonneliers
dans
les
zones
de
production
oblige
à
se
fournir
à
Bordeaux
ou
à
Dax,
ce
qui
augmente
le
prix.
Enfin
il
expose
la
nécessité
d'établir
des
fours
dans
le
comté
de
Belhade,
en
Marensin
et
dans
le
Pays
de
Born,
plutôt
que
dans
les
montagnes
côtières
où
les
arbres
sont
trop
couverts
de
«
gemme
grasse
laquelle
s'esqualite
avec
le goudron ».
En
1700
(20)
d'ailleurs,
sortent
déjà
du
port
de
Bayonne
2000
barils
de
bray
gras
et
3000
de
goudron
soit
1.250
tonnes
en
tout,
preuve
que
la
production
s'est,
après
1688,
développée
dans
le
sud,
Bordeaux
pendant
la
même
période
(1699-1700}
n'expédiant
que
201
barils
de
goudron
soit
25
tonnes
(21).
Cela
est
confirmé
par
un
texte
de
1707
(22)
qui
signale
en
Marensin
«
12
à
15
paroisses
qui
ne
font
pas
un
grain
de
résine
et
n'emploient
leurs
pins
qu'à
faire
du
brai
sec
ou
du
bray
gras
ainsi
que
du
goudron
quand ils deviennent vieux » (par « résine » il faut entendre ici le galipot).
4. L’évolution des zones de production
Il
est
d'ailleurs
normal
que
la
production
se
développe
dans
le
sud,
ne
serait-ce
que
pour
entretenir
les
bateaux
de
Bayonne
et
de Saint-Jean-de-Luz où de 1683 à 1686 étaient recensés (23) :
- à Bayonne 35 vaisseaux de 50 à 360 tonneaux
8 barques de 20 à 40 tonneaux
9 pinasses de 10 à 25 tonneaux
- à Saint-Jean-de-Luz
26 vaisseaux de 60 à 300 tonneaux
25 barques de 20 à 50 tonneaux
22 pinasses.
A
ces
bâtiments
il
faut
ajouter
les
bateaux
des
autres
ports,
l'ensemble
des
armements
morutiers
et
les
flottilles
fluviales
de
l'
Adour.
Il
n'empêche
que,
même
dans
le
sud,
la
collecte
du
goudron
connaît
des
difficultés,
en
particulier
la
concurrence
des
forges
qui
consomment
beaucoup
de
forêts
et
la
modicité
des
prix
fixés
par
les
adjudications
royales:
8
livres
le
baril
de
250
livres-poids
de
goudron ou de bray gras, 27 livres le millier de bray gras, soit moins de 81 ivres le baril (24).
Le
résultat
de
toutes
ces
imperfections
relevées
par
le
sieur
Martin
dès
1686
est
que,
dit-il,
«
les
magasins
du
Roi
ont
cessé
de
prendre
de
ces
goudrons
».
Il
réclame
donc
un
monopole
de
fabrication,
une
exemption
de
tous
droits,
des
prix
fixes,
une
taxe
sur
les
produits
bruts
qui
partent
en
Hollande,
revenant
raffinés
de
ce
pays
et
surtout
l'interdiction
«à
tous
particuliers
d'aller
dans
les
pièces de pin qui ne leur appartiennent pas pour y prendre des arbres secs et caducs car ils sont les plus propres à faire du goudron
et
détériorer
les
forêts
en
coupant
les
pins
verts».
Il
s'agit
là,
pour
des
raisons
économiques
déjà,
pourrait-on
dire,
physiocratiques,
d'une
condamnation
des
droits
d'usage,
preuve
supplémentaire
que,
dans
les
montagnes
côtières,
celles
de
La
Teste
et
Biscarrosse
au
moins,
ces
droits
étaient
le
principal
obstacle
à
la
production
des
goudrons.
Ce
n’est
que
lors
des
grandes
calamités,
incendies,
ouragans
que
le
bois
est
utilisé
pour
le
goudron.
On
le
verra
en
1803
quand,
après
un
ouragan
qui
lui
a
mis
à
bas
570
arbres
le
Sieur
Taffard
de
la
Ruade
déclare
avoir
donné
tout
le
bois
abattu
à
son
résinier
et
«
construit
un
four
à
goudron
»
dans
sa
parcelle
des
Montauzeys
en
forêt
usagère
de
La
Teste.
En
temps
normal
les
fours
n’y
servaient,
on
l’a
vu,
qu’à
produire,
à
partir des résidus du gemmage, des produits de moindre qualité.
D'ailleurs
pour
les
propriétaires,
le
goudron
ne
semble
pas
un
produit
très
rémunérateur.
S'ils
utilisent
parfois
l'argument
de
cette
production
lorsqu'ils
veulent
attirer
l'attention
des
autorités
sur
l'importance
stratégique
du
massif,
celle
attitude
semble
plus
politique
qu'économique.
C'est
ainsi
qu'en
1751
(25),
ils
protestent
contre
les
fermiers,
résiniers
et
autres
habitants
qui
font,
dans
la
forêt
de
La
Teste,
et
malgré
une
interdiction
datant
de
1718,
des
«fenêtres»
de
20
pieds
sur
200,
soit
422
m2,
pour
la
chasse
aux
bécasses
et
palombes
«faisant
un
grand
abattis
d'arbres-pins,
diminuant
la
quantité
de
pins
propres
à
faire
du
goudron
pour
l'Etat»,
attitude
encouragée
par
le
seigneur
de
Ruat
qui
perçoit
sur
chaque
installation
la
valeur
de
2
paires
de
bécasses,
soit
48 sols.
Cependant,
lorsqu'en
1777
(26)
Nicolas
Taffard
(ou
son
père
signataire
de
la
précédente
supplique)
passe
contrat
de
fermage
avec
Bernard
Dessans
dit
Bernachot,
résinier
des
pièces
de
Péchious
et
du
Pétoulet,
il
exige
«
7
milliers*
de
résine
bonne,
belle
et
de
satisfaction
prise
au
four
chaque
année
»
mais
précise
que
Daisson
«
pourra
disposer
des
brays
et
terbantines
qu'il
fera
venir
».
Le
bray
gras
(ou
poix
ou
pègle)
était
donc
une
production
épisodique
et
résiduelle,
sinon
le
propriétaire
l'aurait
réservée
pour
lui.
Colbert
de
Seignelay,
fils
de
Jean-Baptiste,
secrétaire
d'Etat
à
la
Marine
depuis
1682,
n'ayant
pas
retenu
les
solutions
du
sieur
Martin, la Manufacture continua à décliner .
NOTES :
1- J. Lombard, Procès verbal de visite, 1672.
2-
Il
s'agit
de
la
parcelle
de
«
Sanglarine
»,
à
«une
lieue
d'un
meschant
village
appelé
Cazaux.
Une
dune
porta
le
nom
de
Sanglarin (le serpent) à l'ouest de l'actuelle parcelle des «Deux Hourns».
3- AD Gironde. Jésuites. Collège 121 3 mars 1639.
4- Sentence arbitrale de l’an 2 sur la forêt usagère de La Teste
5- Loirette, A l' origine d'une vieille industrie landaise : la Manufacture Royale de Goudrons, 1960,B.M. Bordeaux Br 11.909.
6- Desbiey, Fonds Delpit, AM Bordeaux M 612
7- Correspondance administrative de Colbert, Tome 3, Fonds Depping et Documents pour l'Histoire de l' Aquitaine, p. 239.
8- F. Lebrun, Le XVll° siècle, Armand Colin, 1967, p. 255.
9- René Memain, La marine de guerre sous Louis XIV - Paris 1937
10-
A.N.
Marine
G
no
2
bis,
cité
par
R.
Mémain,
La
Marine
de
guerre
sous
Louis
XN
Il
faut
noter
que
la
faiblesse
de
ces
réserves est due à la crainte des incendies
11- Mémoire du sieur Martin, AN B 355 - 15 avril 1686
12- Ch. Huetz de Lemps, Géographie du commerce de Bordeaux..., op. cit.
13- Jacques Bernard, op.cit., p.49.
14- A.N. B 3122 Marine, f° 396.
15- Ourles: partie très résineuse du pin située entre deux carres très rapprochées.
16- Déclaration Royale sur Guienne et Béarn, Chantilly 22 juin 1725.
16 bis- A.D. Gironde, C 3.686, Note sur les propositions du sieur Dupuy, Inspecteur des milices garde-côtes du Marensin.
17- ibid., Lettre des négociants de Bayonne à M. de Clugny.
18- Ordonnance de d'Aguesseau - ADG C 3671
19- Registres du Conseil Municipal de La Teste.
20- Bayonne, HH 202 cité par Laroquette, 1924.
21- Ch. Huetz de Lemps, op.cit.
22- Bayonne, HH 202 cité par Laroquette, 1924.
23-
Enquête
de
J.B.
Colbert
de
Seignelay,
Archives
de
la
Chambre
de
Commerce
de
Dunkerque
(HSB
19,
f°
262-267)
cité
par
R. RiChard, Bulletin de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne, 1983.
24- A.N. Marine D 327 Bayonne (21 décembre 1701)
Bordeaux Aquitaine Marine 2