Bordeaux Aquitaine Marine 2
Au
début
du
XVIIIe
siècle
et
aussi
loin
que
l’on
remonte
dans
l’histoire
du
port
de
Bordeaux,
celui-ci
est
reconnu
comme
port
de
transit
international,
mais
dont
les
négociants
locaux
se
tiennent
à
distance.
Si
l’on
remonte
à
l’époque
romaine,
les
recherches
effectuées
par
Francisque-Michel
montrent
que
Bordeaux
était
avant
tout
un
port
de
transit
pour
les
romains.
Au
IVe
siècle
Bordeaux
avait
certes
une
petite
flotte,
mais
uniquement
composée
de
navires
à
rames.
Il
semble
que
cela
ait
duré
tout
le
Moyen-Âge.
Même
sous
la
domination
anglaise,
on
construit
certes
des
navires,
mais
pour
le
cabotage
et
seulement
de
trois
types
:
anguilles
,
galées
(un rang de rameurs) et
baleiniers
. Ils étaient alors construits sur le « môle Tropeyte
1
».
Les
Anglais
partis,
Bordeaux
se
dote
de
quelques
navires
pour
assurer
la
police
sur
la
partie
amont
de
l’estuaire.
En
1569,
les
jurats
arment
12
navires
en
guerre
en
plus
des
6
existants.
En
1628,
la
chronique
assure
que
la
flotte
de
Bordeaux
se
composait
de trois bateaux de 500 tonneaux et trois de 450 tonneaux.
Le
constat
est
simple,
les
seuls
navires
construits
localement
sont
des
navires
armés
en
guerre
par
la
ville
de
Bordeaux
pour
sa
défense.
La
raison
de
cet
état
de
fait
est
dénoncée
par
tous
les
auteurs
:
une
absence
d’intérêt
des
négociants
bordelais
pour
le
commerce
international.
Dans
ces
conditions,
le
développement
des
chantiers
est
limité
et
personne
à
Bordeaux
ne
s’intéresse
à
leur sort.
Il
faudra
attendre
l’arrivée
de
Colbert
qui
donne
une
forte
impulsion
au
commerce
colonial
et
par
voie
de
conséquence
à
la
construction navale.
Peinture de Antoine-Désiré Heroult vers 1850 du chantier Bichon - Musée des Beaux-Arts de Bordeaux
leconstructeur de navires
A
l’orée
du
XVIIIe
siècle,
les
chantiers
sont
dirigés
par
des
maîtres
«
charpentiers
de
marine
».
C’était
la
seule
profession
à
ne
pas
être
organisée
en
corporation
à
l’image
des
maîtres
bayonnais.
Les
charpentiers
de
marine
avaient
présenté
en
1716
une
requête
pour
obtenir
la
création
de
cette
corporation
auprès
des
jurats,
cette
dernière
fut
repoussée
par
la
Chambre
de
Commerce
et
les
jurats.
Il
leur
fut
répondu
«
que
le
projet
des
statuts
que
les
charpentiers
de
navires,
avaient
la
hardiesse
de
proposer,
alors
qu'ils
n'étaient
que
des
ouvriers
sans
instruction
dont
la
majeure
partie
ne
savait
ni
lire
ni
écrire,
et
dont
pas
un
seul
ne
connaissait
les
règles
et
les
proportions
de
la
construction
d'un
navire
;
que
d'ailleurs
ils
figuraient
tous
sur
les
rôles
des
classes et dépendaient des commissaires de la marine, qui pouvaient les embarquer à premier ordre du ministre
».
De cette absence d’organisation corporative, il en résulte les problèmes suivants :
-
L’absence de statuts, de règles, et de compagnons,
-
Dans
l’Inventaire
sommaire
des
registres
de
la
Jurade,
de
1520
à
1783,
il
n’est
pas
fait
une
seule
fois
mention
de
construction navale,
-
Le
titre
de
maître
était
délivré
par
un
«
constructeur
du
Roi
»
au
simple
vu
de
plans
de
navires
de
commerce
dessinés
devant lui.
Une
enquête
menée
en
1762,
établit
une
liste
de
38
maîtres
ou
veuves
de
maître
(elles
conservaient
le
statut
de
leur
mari),
64 apprentis, les ouvriers n’étant toujours pas considérés comme compagnons.
Outre
cette
activité
de
construction,
les
chantiers
ont
obligation
de
posséder
un
ponton
mouillé
dans
le
fleuve
au
droit
du
chantier. Ce ponton permet d’abattre en carène les navires devant être radoubés.
Leur situation sociale
Malgré
la
désorganisation
de
la
profession
et
le
peu
de
considération
que
leur
portaient
les
bourgeois
de
Bordeaux,
certains
maîtres
charpentiers
sont
suffisamment
riches
pour
devenir
en
plus
armateurs.
C’est
le
cas
notamment
de
Gélineau
copropriétaire d’un navire armé pour la Martinique en 1711.
Même
les
jurats
arrivaient
parfois
à
reconnaître
les
services
rendus.
C’est
le
cas
de
Meynard
pour
ses
quarante
ans
passés
comme constructeur de navires.
Cette première génération de constructeurs donne naissance, pour certains, à une lignée de constructeurs célèbres.
On
retrouve
ainsi
la
famille
Bichon
dont
le
fondateur
du
chantier
est
Pierre
aîné
en
1763.
Ce
chantier
continuera,
après
maintes
péripéties
sous
le
nom
de
«
Chaigneau
et
Bichon
»
avant
de
devenir
le
célèbre
«
Chantiers
et
Ateliers
de
la
Gironde
»
qui
fermera
ses portes en 1969. Le dernier membre de la famille présent au chantier est Jean Bichon, décédé en 1861 .
Antoine
Courau
s’installe
à
Sainte-Croix
en
1760.
Ses
descendants
se
succèderons
jusqu’au
dépôt
de
bilan
de
Lucien
Arman
en 1868.
De
même
le
chantier
de
Pierre
Guibert,
créé
au
18
quai
Sainte-Croix
en
1759,
va
continuer
pendant
un
siècle
son
activité
avec la même famille.
LE CHANTIER
Le
terrain
occupé
par
le
constructeur
du
navire
n’a
rien
à
voir
avec
un
établissement
industriel
actuel.
En
général,
ce
chantier
consiste
en
un
hangar
en
bois
protégeant
la
future
coque
des
intempéries,
cette
dernière
ne
dépassant
pratiquement
jamais
les
30
mètres
de
long.
Il
y
a
probablement
une
cabane
pour
ranger
les
outils
et
gabarits
,
mais
c’est
tout.
En
effet
le
travail
propre
au
maître
charpentier,
consiste
à
concevoir
la
coque
seule,
puis
la
monter,
enfin
la
mettre
à
l’eau
à
partir
de
la
rampe
inclinée allant du hangar à la Garonne.
Les étapes de la construction
Une
fois
le
contrat
de
construction
signé
avec
le
client,
la
première
tâche
du
maître-charpentier
est
d’approvisionner
le
bois
nécessaire
à
la
coque.
Le
bois
lui
est
livré
prédécoupé
et
c’est
à
partir
de
ce
moment
que
son
travail
commence
:
il
s’agit
de
découper
les
différentes
pièces
de
la
coque
à
l’aide
de
gabarits
préalablement
choisis
(si
une
pièce
n’a
pas
encore
de
gabarit,
il
faudra
concevoir
cette
pièce
par
retouches
successives,
le
gabarit
correspondant étant alors ajouté à la collection des gabarits.
La
coque
est
ainsi
construite
progressivement
en
partant
de
la
quille.
Il
convient
ensuite
de
monter
la
mâture
et
les
apparaux.
Tous
ces
objets
sont
sous-traités
à
des
artisans
spécialisés
:
forgerons,
voiliers,
cordiers,
poulieurs,
avironniers,
fabricants
de
chaînes,
câbles et mâts.
Tous
ces
apparaux
étant
montés,
il
reste
plus
qu’à
mettre
le
navire à l’eau.
Registre des lancements
A
cette
époque
au
moins,
la
Jurade
de
Bordeaux
tient
un
registre
des
navires
construits
à
Bordeaux.
Cet
enregistrement
est
obligatoire
pour
tous
les
navires
de
mer
construits
et
lancés
par
un
chantier bordelais.
Le
constructeur
lui-même
(ou
parfois
son
représentant)
doit
se
présenter
devant
la
Jurade
pour
se
faire
enregistrer
préalablement
au
lancement
du
navire.
Les
informations
fournies
par
le
Registre,
sont :
-
La date de l’enregistrement
-
Le nom du navire
-
Son tonnage brut
-
Le nom du propriétaire
Le lancement donne lieu à un baptême en présence d’une marraine désignée par le propriétaire du futur navire.
Pour
les
navires
militaires
construits
au
Chantier
du
Roi,
la
cérémonie
du
baptême
était
plus
protocolaire
comme
en
témoigne
ce
rapport
;
«
Le
sieur
Guignace,
constructeur
du
Roi,
s’étant
présenté
à
Mrs
les
jurats
de
la
part
de
Mr
Daubenton,
Commissaire
Ordonnateur
de
la
Marine,
pour
les
prévenir
qu’on
devait
lancer
à
l’eau
en
présence
de
Madame
la
Duchesse
de
Gramont,
la
frégate
La
Tourterelle
et
qu’il
serait
nécessaire
d’y
envoyer
une
garde
des
deux
guets.
Mrs
les
jurats,
précédés
d’un
détachement,
se
sont
rendus
entre
cinq
et
sic
heures
sur
le
chantier
d’où
devait
être
lancée
la
frégate
et
ont
pris
place
sous
une
tente qui avait été dressée, en compagnie de Madame la Duchesse ».
LES CHANTIERS DE CONSTRUCTION DE 1754-1783
Les
documents
de
la
Jurade
permettent
de
connaître
la
totalité
des
chantiers
navals
bordelais
ayant
construit
des
navires
de
mer
durant
la
période
d’avril
1754
à
avril
1783.
Cette
liste
ne
comprend
pas
les
chantiers
ayant
construit
uniquement
des
navires
de rivière ou de petit cabotage.
La
quasi-totalité
des
chantiers
était
installée
quai
de
Paludate
en
amont
du
quai
Sainte-Croix,
à
l’exception
de
Montuguet
à
Bacalan
et
de
Bichon
et
Tranchard
à
la
Bastide-Lormont.
Ces
deux
quartiers
deviendront
au
XIXe
siècle,
les
emplacements
principaux
de
construction
à
Bordeaux.
Il
y
a
une
raison
historique
à
cela
:
la
décision
de
la
ville
de
céder
temporairement
les
terrains
de
Paludate,
bordant
la
Garonne
au
sud
de
la
paroisse
Saint-Michel,
décision
prise
en
1699
pour
dégager
le
quai
Sainte-
Croix où se trouvaient alors les chantiers. Ce terrain se trouvait juste après le Chantier du Roi, lui aussi nouvellement installé.
Nous
trouvons,
groupés
sur
la
liste
suivante,
les
chantiers
de
la
période
d’avril
1754
à
avril
1783.
Ils
ont
construit
426
navires
au total.
Chantier
Situation
Navires construits, Eventail de tonnage, année de création
FENELON Jean et fils
Paludate
52
150-600
1699
JULIEN
Paludate
38
50-600
1755
POITEVIN Pierre et Jacques
Paludate
25
120-750
1733
GELINEAU fils
Paludate
22
300-600
1699
LESTONNAT
Paludate
21
80-500
1756
BOULUGUET P.
Paludate
21
50-700
1763
IZARD
Paludate
19
170-600
1754
PICAUD
Paludate
18
100-800
1748
MEYNARD Pierre
Paludate
17
180-600
1729
GUIBERT
Paludate
15
120-500
1759
ROY J.
Paludate
15
34-500
Avant 1754
LATUS Joseph
Paludate
14
80-500
1746
LAHITTE J.
Paludate
13
120-600
1766
ALTUNA
Paludate
11
45-300
1752
BICHON Pierre
Lormont
11
50-350
1763
BIDAUD
Paludate
10
150-600
1755
PICHON André
Paludate
9
60-400
1761
TAUZIN Bernard et Jacques
Paludate
8
120-600
1748
PATON
Paludate
8
230-550
1760
BARTHELEMY
Paludate
6
34-250
1699
BRASSAS
Paludate
6
45-420
1756
COURAU Antoine
Paludate
6
120-700
1760
CASTAIGNET
Paludate
6
200-500
1756
THIAC
Paludate
4
200-600
1778
FOUCAUD
?
4
130-450
1755
LABADIE
?
4
180-350
1754
FORGEAU ou FOURGEAU
Bacalan
3
300-600
1771
LANGOIRAN
?
3
200-300
1758
BRANNA
?
3
100-300
1764
CASTAIGNOLE
?
2
260
1756
DETCHEVERRY E.
Paludate
2
23-400
1763
BERTRAND
Paludate
1
200
1791
LEMARCHAND
?
1
400
1757
MONTUGUET
?
1
240
1775
RAMON
Paludate
1
-
1754
VIDEAU
?
?
Avant 1778
SAGE
Paludate
1
200
1671
GIBERT
?
?
?
1768
DULUC Laurent
?
?
?
1762
TRANCHARD Raymond
Lormont
?
?
Avant 1754
Des
chantiers
de
cette
époque,
nous
n’avons
à
vrai
dire
que
peu
d’éléments.
Jusqu’au
début
du
XVIIIe
siècle
la
construction
navale
bordelaise
est
peu
importante
et
inorganisée.
En
outre,
les
charpentiers
de
marine
est
la
seule
profession
non
organisée
en corporation.
Ils tentèrent en vain d’obtenir ce statut auprès de la Chambre de Commerce de Guyenne. Dans ces conditions, les armateurs
locaux
préféraient
faire
construire
hors
de
Bordeaux,
en
France
mais
aussi
en
Angleterre
ou
en
Hollande.
Cependant,
après
le
traité
d’Aix-La-Chapelle
en
1748,
puis
la
fin
de
la
guerre
avec
l’Angleterre
en
1763,
la
construction
navale
locale
démarra
très
rapidement
(14
lancements
en
1751,
22
en
1763)
et
plusieurs
chantiers
nouveaux
apparaissent,
tous
situés
à
Paludate
à
l’exception de Bichon à Lormont.
SOURCES
Sources primaires
-
Registre des lancements de navires – Jurade de 1754 à 1783 (Archives de Bordeaux Métropole)
-
Registre des soumissions de navire (janvier 1763-novembre 1764 (Archives de Bordeaux Métropole et Michel Grosvallet)
-
Le quotidien Journal de Guienne (1784-90)
-
Le quotidien Iris de Guyenne (1784-90)
Sources secondaires
-
Bernadat
Roger
&
Christian,
Quand
Bordeaux
construisait
des
navires.
Histoire
de
la
construction
navale
à
Bordeaux
-
Camiac-et-Saint-Denis, Éditions de l’Entre-deux-mers, 2006 et 2019
-
Bachelier
Bachelier,
M.L.
-
Histoire
du
Commerce
de
Bordeaux
depuis
les
temps
les
plus
reculés
jusqu'à
nos
jours
–
Delmas,
Bordeaux, 1862
-
Bonin, Hubert - Bordeaux et la Gironde - Picard, 1999
-
Féret, Edouard - Statistique générale de la Gironde, t1 & 2 - Féret, Bordeaux, 1889
-
Francisque-Michel - Histoire du commerce et de la navigation à Bordeaux - Delmas, Bordeaux, 1847
-
Goyenetche – La construction Navale en Pays Basque Nord – Itsas Memoria, San Sébastien, 1998.
-
Guichoux Hervé - Histoire des chantiers navals de Bordeaux-Lormont – CDROM en autoédition, 2005
-
Kermorgan
R.
&
TesshoueyresI.,
Histoire
de
la
construction
navale
à
Bordeaux
-
mémoire
de
maîtrise,
Université
de
Bordeaux 3, 1990.
-
Mairie de Bordeaux – Aperçu historique de Bordeaux – Mairie, 1842
-
Malvezin - Histoire du commerce de Bordeaux - Bellier, Bordeaux,1892
-
O'Reilly, Patrice - Histoire complète de Bordeaux - Delmas, Bordeaux, 1860
Bordeaux Aquitaine Marine 2
La construction navale privée à Bordeaux de 1754 à 1783
par Alain Clouet
Cet article est paru dans le journal «Empreintes» de la Mémoire de Bordeaux Métropole.