Bordeaux Aquitaine Marine
L’industrie navale bordelaise en 1876
extrait du Bulletin de la Société de Géographie Commerciale de Bordeaux – N° 1, - Gounouilhou, Bordeaux, 1876
CONSTRUCTIONS MARITIMES DANS LA GIRONDE
D'après les rapports des deux derniers inspecteurs des manufactures de Guyenne (1775 à 1789), il sortait en moyenne du port
de Bordeaux 20 navires de 200 à 600 tonneaux du prix moyen de 50,000 fr, et 20 barques du prix moyen de 40,000 fr. On comptait
de 40 à 45 chantiers en activité et 700 â 800 ouvriers occupés à ces constructions. On fabriquait aussi des barques â Libourne, à
Blaye, à Bourg et dans tous les petits ports. Sous le premier Empire, nos chantiers do construction lancèrent un grand nombre de
corsaires, et préparèrent les bateaux plats devant faire partie de la flottille destinée à opérer une descente en Angleterre, mais
construisirent relativement peu pour la marine marchande.
Sous la Restauration, les chantiers de la Gironde trouvèrent un nouvel aliment dans la construction des navires à vapeur, qui
commencèrent dès 1848 à naviguer sur la Gironde et la Garonne, alors que ce grand progrès n'était encore appliqué que sur la
Seine. A cette époque, nos chantiers de Bordeaux reçurent des commandes nombreuses de navires à vapeur de tous les points de
Ia France. Depuis, ils se sont constamment tenus au niveau de tous les progrès. La construction des navires mixtes en bois et fer
est une heureuse innovation, due à l'initiative des constructeurs bordelais. M. Arman entra le premier dans cette voie; presque à la
même époque (1852), MM. Bichon frères et Chaigneau frères inaugurèrent un autre genre de constructions mixtes dont les
premiers types existent encore. Plus tard les autres constructeurs, MM. Moulinié et Labat, Charron, Raymond, ont aussi employé
avec succès te fer et le bois dans des proportions variables.
La construction des navires à grande vitesse dits clippers a occupé pendant quelques années nos constructeurs, et leurs navires
ont obtenu des résultats comparables à ceux des meilleurs types américains. Mais le commerce de Bordeaux n'a pas persisté
longtemps dans l'emploi de navires d'un port relativement réduit. Dans les années antérieures à 1855, il est sorti du port de
Bordeaux, et des chantiers de MM. Arman, Bichon frères, Chaigneau frères, Charron, Raymond et Guibert, 15 clippers du port de
800 à 4,500 tonneaux.
La construction des navires de guerre cuirassés a eu à Bordeaux une certaine importance due principalement à l'initiative de M.
Arman et à la vaste installation de la Compagnie des chantiers et ateliers de l'Océan, dont le matériel appartient aujourd'hui à M.
Delahante, banquier à Paris, et est exploité sous le nom de Chantiers et ateliers de Bacalan. Ce genre de construction, interrompu
par le changement de propriétaire, ne tardera pas à reprendre certainement. Les nombreuses commandes de navires cuirassés,
frégates, monitors, batteries flottantes, etc., faites à nos chantiers pour l'Espagne, l'Italie, Tunis, la Russie, etc., prouvent que
Bordeaux peut rivaliser sous ce rapport avec les constructions anglaises et américaines. La réparation des navires se fait en
Queyries (Bordeaux-La-Bastide) sur un gril de carénage pour les navires de 400 à 1,200 tonneaux, sur un bassin flottant de
carénage, sur une forme sèche ou bassin de radoub pour les navires de 1,200 tonneaux de port, et sur deux cales de halage pour
les navires de grandes dimensions. Ces cales sont construites d'après le nouveau système de M. Labat, ingénieur maritime.
Les cales de halage, système Labat, sont disposées de manière à pouvoir être divisées au besoin en plusieurs parties
indépendantes, chacune de ces parties peut recevoir isolément un navire d'un tirant d'eau particulier, ou lorsqu'elles sont reliées
entre elles, permettre le halage des plus grands navires. La cale de Bacalan, établie en 1862, a 90 mètres de longueur, et s'avance
de 940 mètres dans le lit de la rivière avec une pente uniforme de 7 centimètres par mètre. La descente et la montée du traîneau y
sont opérées au moyen de poulies et de cabestans mis en mouvement par une machine à vapeur de la force de 40 chevaux.
La cale de Lormont, plus avantageuse que la précédente à cause de sa situation dans une partie de la rivière qui offre une plus
grande hauteur d'eau au-dessus de l'étiage, a été construite en 4867. Elle a 400 mètres de longueur parallèlement à la rive et
s'avance à 32 mètres sous l'eau avec une pente de . 30 centimètres par mètre. Le traîneau est mû par un système de vis et écrous,
actionnés par une machine à vapeur de 40 chevaux. La cale de Lormont est pour Bordeaux un instrument précieux que peu de
ports possèdent encore. Les paquebots d'une longueur de 130 mètres et du poids de plus de 3,000,000 de kilogrammes, au
moment du halage, y sont élevés en six heures ou six heures et demie.
Les chantiers de construction de Bordeaux doivent être divisés en quatre centres principaux :
1) Celui de Paludate, où se trouve l'ancien Chantier du Roi, qui ne sert plus que de dépôt ; les chantiers de M. Arman, en
chômage ; ceux de M. Cluzan , moins importants. Ce centre occupait, il y a quelques années, 7 à 800 ouvriers; aujourd'hui, il n'en
occupe plus qu'un très petit nombre et chôme quelquefois par suite de la pénurie des constructions neuves.
2) Le centre de Bacalan comprenant les vastes chantiers de la Compagnie des chantiers et ateliers de Bacalan, qui se composent
de 5 cales couvertes, d'un grand atelier de forge et de vastes magasins; les chantiers de MM. C. Charron, Coffre, Germain, Lambert
et Limouzin, pour les constructions de petits navires et embarcations. Ce centre peut occuper en temps ordinaire 600 ouvriers.
3) Le centre de Lormont, où se trouvent les chantiers considérables de MM. Bichon frères, Chaigneau frères, et ceux moins
importants de MM. A. Lagorce fils, Mimoneau. Les chantiers de MM. Chaigneau frères se composent de 5 cales couvertes et de
trois feux de forge ; ceux de MM. Bichon frères, séparés depuis 1852 des précédents, comprennent 4 cales dont 2 couvertes. Ces
deux grandes maisons de construction possèdent des ateliers organisés pour les constructions en fer. Ce centre peut occuper en
temps ordinaire 400 ouvriers.
4) Le centre de Queyries comprend : la cale de halage dont nous avons déjà parlé et les ateliers de forge et autres nécessaires
pour la réparation des navires, mis à sec sur cet engin; les chantiers de construction de M. P. Charron et ceux de M. Raymond. Ces
chantiers occupent en temps ordinaire 400 ouvriers.
Ces quatre centres constituent les chantiers du port de Bordeaux. Le département possède en outre, près du petit port de
Bourg, deux chantiers de construction de grands navires, de M. Roy et de MM. Rochet et Largeteau, à La Roque. Ces chantiers
occupent en temps ordinaire 200 ouvriers.
La construction des barques et petits caboteurs se fait dans les chantiers ci-après :
1° Sur la Dordogne, 5 chantiers : 2 à Fronsac, 2 à Libourne, 1 à Sainte-Terre ;
2° Sur l'Isle, 2 chantiers : 1 à Coutras, 1 à Galgon ;
3° Sur la Dronne, 2 chantiers à Saint-Denis-de-Pile;
4° Sur la Gironde, 3 chantiers: 2 à Blaye, 1 à Villeneuve;
5° Sur la Garonne, 10 chantiers : 1 à Podensac, 6 au Tourne, 4 à Langoiran, 1 à Lestiac, 4 à Casseuil;
6° Sur le bassin d'Arcachon, 10 chantiers : 4 à La Teste, 6 à Gujan.
En somme, ces 38 chantiers occupent, en temps ordinaire, environ 400 ouvriers.
Ceux de Bacalan, avec les ateliers Delahante, en occupent 600
Ceux de Lormont, 400
Ceux de Queyries, 400
Ceux de La Roque, 200
TOTAL : 2,000 ouvriers
note : Les ouvriers occupés aux réparations gagnent 4 fr. 50 c. par jour en hiver, et 5 fr en été, ceux qui travaillent aux
constructions neuves sont presque toujours payés à la tâche, et gagnent de 6 à 8 fr. par jour.
Le chantier Chaigneau
Ajoutons que depuis quelques années cette situation s'est sensiblement modifiée; que les ouvriers indiqués ci-dessus travaillent
aujourd'hui, la plupart du temps, aux réparations de navires et machines à vapeur ; souvent même ils sont en grande partie
inoccupés par suite de la situation malheureuse où se trouvent la marine marchande et la batellerie de notre port. Aujourd'hui la
plupart de ceux de Bacalan travaillent à des constructions industrielles. Les chiffres ci-après prouveront combien la grande
industrie maritime qui nous occupe souffre, et combien elle a perdu d'importance alors que le mouvement maritime de Bordeaux
grandit tous les jours.
De 1841 à 1846, la moyenne annuelle des grandes constructions navales était de 26 navires, jaugeant 4,735 Tx. Cette
moyenne s'était élevée, dans la période de 1861 à 1865, à 30 navires, jaugeant 13,931 Tx. Elle est tombée, do 1871 à 1874, à 8
navires, jaugeant 4,069 Tx. et représentant une valeur moyenne de 2,000,000 fr. La valeur dos constructions neuves en batellerie
et petit cabotage peut atteindre actuellement 800,000 fr. au plus.
Quelles sont les causes de cette situation et les remèdes à y apporter ? Tel est le problème à la solution duquel nous n'avons
pas à nous arrêter ici, mais que nous considérons comme l'un des plus importants que nos législateurs aient à résoudre au nom
des intérêts commerciaux de notre pays et surtout au nom de ses forces militaires navales. Les diverses industries qui concourent
à l'armement des navires ont vu aussi leur activité faiblir dans les mêmes proportions que celle des chantiers de construction.
Nous allons jeter un coup d'œil sur les plus importantes.
FORGES ET FONDERIES FOUR LA MARINE.
Trois grands établissements de forges et fonderies sont outillés sur une grande échelle et travaillent surtout pour la marine. Ce
sont les ateliers de M. Delahante, ceux de MM. Cousin et fils, frères, et ceux de M. Bailly. Les premiers font la construction des
coques de navires et, comme les seconds, de nombreux travaux pour l'industrie. Ces établissements, susceptibles d'occuper un
millier d'ouvriers dont le salaire moyen varie de 4 à 5 francs par jour, peuvent satisfaire à tous les besoins de la marine, du
commerce de la place dans les temps les plus prospères, et fournir à la marine étrangère toutes les facilités de réparations.
Malheureusement, ils occupent aujourd'hui à peine 400 ouvriers.
La fabrication des chaînes-câbles est l'objet de soins tout particuliers de nos industriels et a atteint une grande importance à
Bordeaux, où elle peut lutter avantageusement pour la quantité et surtout pour la qualité avec tous les autres centres de
production. Environ 10 ateliers moins importants augmentent encore les ressources de ce port pour la marine. Ils peuvent occuper
jusqu'à 200 ouvriers.
Malheureusement, depuis quelques années l'industrie métallurgique appliquée à là marine a perdu, à Bordeaux comme dans
presque tous les ports, une grande partie de son importance, par suite des difficultés de la situation commerciale actuelle et de
l'infériorité des prix des navires étrangers, surtout des navires anglais. Nos usines de forges et fonderies, dont le matériel et les
moyens de production sont capables de satisfaire aux exigences du plus grand développement que puisse acquérir notre marine,
sont dans un état de calme qui ne leur permet pas d'occuper la moitié des ouvriers dont elles pourraient utiliser le travail. La valeur
des différents produits de cette branche de notre industrie métallurgique peut atteindre environ 1,000,000 francs par année
moyenne.
CORDERIES
Les corderies de Bordeaux travaillent principalement les chanvres de Riga, de Saint-Pétersbourg et de Koenigsberg, dont le prix
varie de 70 à 95 francs les 400 kil., suivant qualité ; on y traite aussi des chanvres français coûtant de 90 à 420 francs les 100 kil.,
des chanvres de Manille valant environ 130 à 150 francs ; on y fait enfin des cordages métalliques. La production moyenne
annuelle de ces trois établissements est d'environ 1,200,000 kilogrammes de cordes et cordages, soit une valeur totale de
4,800,000 francs. Ces cordages sont en grande partie consommés à Bordeaux et dans les environs; il en est expédié par quantités
notables soit à Marseille, soit à la Guadeloupe, la Martinique, le Sénégal, Maurice, Bourbon et Saigon.
En 1814, M. Dubolil apporta quelques améliorations au système mécanique qui avait été créé par M. Margeon. Plus tard, M.
Lafaye ajouta au système en vigueur la machine à vapeur et le filage mécanique, pour lequel il emploie un système perfectionné et
breveté. Son exemple a été suivi par ses confrères MM. Caillabet et Rousseau, et Bordeaux peut se flatter de posséder aujourd'hui
trois vastes corderies modèles. Depuis deux ans, une machine à câbler à pression directe fonctionne dans l'usine de MM. Rousseau
père et fils, inventeurs de cette machine. Depuis trois ou quatre ans, cette industrie souffre beaucoup par suite de la préférence
donnée de toutes parts aux navires à vapeur.
Indépendamment des grandes usines dont nous venons de parler, on trouve dans le département 33 petits industriels fabricant
des cordes de tout genre pour l'industrie ou l'agriculture. Ils sont situés dans les communes suivantes : Saint-Ciers-Lalande, Saint-
André-de-Cubzac, Libourne, Brenne, Sainte-Terre, Sainte-Foy, La Réole, Lamothe- Landeron, Fontet, Sauveterre, Saint-Macaire,
Villenave-d'Ornon, Podensac, Portets, Preignac, La Teste, Gujan, Lesparre, Saint-Vivien. La plupart de ces ateliers n'occupent qu'un
ou deux ouvriers aidés d'une femme ou d'un enfant.
POULIERIE
Bordeaux possède 6 ateliers de poulierie occupant de 15 à 20 ouvriers. Dans un seul, la vapeur est employée comme moteur. Les
rouets sont généralement faits en bois de gayac des Antilles, les chapes en bois d'orme du pays. Dans une année ordinaire, la
valeur des produits de cette industrie peut s'élever à 70,000 francs, dont un dixième tout au plus est exporté du département.
Malheureusement, nous pouvons dire de cette industrie ce qui est vrai pour presque toutes les industries se rattachant à la marine
: elle produit à peine la moitié de ce qu'elle produisait il y a quelques années.
AVIRONS
Cette fabrication a lieu dans plusieurs petits ateliers, mais principalement dans une maison spéciale fabriquant à elle seule plus
que toutes les autres réunies. Elle tend à augmenter et atteint actuellement, année moyenne, le chiffre de 9 à 10,000 avirons
d'une valeur moyenne de 10 francs l'un. Les deux tiers de cette fabrication sont exportés dans les différents ports de France, en
Orient, en Afrique et dans l'Amérique du Sud. Les matières premières employées sont des frênes de l'Amérique du Nord de
différentes qualités.
AVITAILLEMENT
Les moyens d'avitaillement de la marine sont des plus faciles dans le port de Bordeaux, situé au milieu d'une contrée riche en
produits agricoles de toutes sortes, et dans une ville où de nombreuses fabriques de produits alimentaires et de conserves ont une
réputation universelle et une importance considérable
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