Bordeaux Aquitaine Marine

Le drame de l’Afrique - 11 janvier 1920

par François Jouison

extrait du Journal « La Liberté du Sud-Ouest » année 1920. Dans la nuit du 11 au 12 janvier 1920, le paquebot « Afrique » de la Compagnie des Chargeurs Réunis, parti du Verdon deux jours avant, sombrait dans les parages du plateau de « Rochebonne » au large de l'île d'Oléron et au Sud de l'île d'Yeu par une forte tempête de Sud-Ouest. Sur les 599 personnes embarqués au départ deBordeaux, seules 34 personnes survivront. Construit aux chantiers Sawn Hunter et Wigam Richardson de Newcastle upon Tyne, il fut lancé le 21 novembre 1907 et mis en service sur la ligne Bordeaux-Dakar- Ténérife le 22 juillet 1908. D'une longueur de 119,70 m pour une largeur de 14,75 m il a un tirant d'eau de 6,46 m. Sa jauge brute est de 5406 tonneaux pour un port en lourd de 7832 tonnes. Deux machines à vapeur d'une puissance de 7200 chevaux actionnent deux hélices lui permettant d'atteindre une vitesse de 17,5 noeuds. Mr Antoine Le Dû commandait le paquebot. note : Vous pouvez retrouver la liste complète des passagers et de l’équipage et des passagers sur le site http://www.memoiresdelafrique.fr/ Peu de temps après ce drame le journal « La Liberté duSud-Ouest » recueillait le récit d'un rescapé Mr Jean Georges Métayer " Vendredi matin, nous nous sommes présentés au domicile de M Geoges Métayer le seul passager civil rescapé du naufrage de l'Afrique. Mr Georges Métayer, de retour à Bordeaux jeudi soir est un jeune homme râblé et paraissant en excellente santé. Il est le neveu du boxeur Albert Lurie, ex-champion de France poids lourds, bien connu dans notre ville. Il est âgé de vingt-neuf ans. Ce passager se rendait à Grand-Bassan pour rejoindre un poste à la Société forestière Bandama. Ajoutons que Mr Métayer est marié avec une toute jeune femme et qu'il vit avec son père et sa mère, rue Dupaty. 95. De bonne grâce Mr Métayer a bien voulu, une fois de plus, se prêter au supplice de l'interview et narrer pour les lecteurs de la Liberté duSud- Ouest les grandes phases de l'horrible catastrophe. Nous lui laissons la parole: « Nous sommes arrivés, vendredi au Verdon, à onze heures du soir, où l'« Afrique » avait dû relâcher, car, par suite de la tempête le pilote de haute-mer ne voulait pas affronter le voyage. « Samedi matin à huit heures, nous quittions la rade du Verdon. A peine en mer, l'eau pénétrait par les hublots. On fit appel au charpentier du bord qui les garnit de caoutchouc. Tous les passagers de troisième classe avaient été contraints de quitter leurs cabines, et, dans les couloirs, depuis le samedi, on ne sait à quoi en attribuer la cause, l'eau circulait. Les malles, les bagages nageaient... « De plus, la gite du navire, d'abord à bâbord, passa à tribord. « A la relève du quart, samedi matin, en mer, les chauffeurs se plaignaient déjà que les plaques des chaufferies étaient soulevées par l'eau. « A midi, les passagers apprenaient que le mécanicien chef avait informé le commandant Le Dû, de l'arrêt total de la machine tribord. Celle de bâbord était réduite au tiers de sa vitesse. Le tangage, le roulis dérangèrent probablement le chargement, car, tard dans la soirée, alors que je me trouvais dans l'entrepont avec d'autres passagers, nous ressentîmes deux violentes secousses. La situation devenait de plus en plus critique. « Le commandant Le Dû fit lancer des appels de détresse et dans la nuit de samedi à dimanche, donna l'ordre de faire demi-tour. L'eau avait noyé les foyers. Bientôt, il n'y eut plus de lumière électrique. Seules, de loin en loin, des bougies éclairaient faiblement les couloirs, dans lesquels l'eau coulait tel un ruisseau violent. « Le navire était peu à peu drossé vers la côte. Entre temps, la vue du Ceylan (1) avait rassuré les passagers. Ils ne semblaient du reste nullement se rendre compte de la situation. « A six heures, dimanche soir, la dynamo ne fonctionnait plus. « Vers neuf heures, alors que la gîte du paquebot atteignait de l'avis de tous, au moins quarante cinq degrés, je remarquais un feu. Tout d'abord je crus qu'il s'agissait d'un remorqueur, puis ensuite d'une bouée lumineuse lancée par le navire et destinée aux hommes qui se jetteraient à la mer. Il n'en était rien. C'était, hélas ! Le bateau- phare de Rochebonne (2). « Peu de temps après, la situation était désespérée. Les chauffeurs étaient obligés d'abandonner les chaufferies inondées. On donna l'ordre de se munir des ceintures de sauvetage et de mettre à l'eau des canots et des embarcations. « C'est bien, ainsi qu'il a été déjà dit, par l'avant bâbord que l' « Afrique » toucha le caisson du bateau-phare. Cette partie du navire était alors évacuée et une partie des passagers, toujours calmes, étaient installés dans le fumoir de première classe. « En gagnant le pont par l'escalier du poste de radiotélégraphie, je remarquais, toujours à son poste, le jeune opérateur lançant des appels,... les derniers. » « Un premier canot était mis à l'eau. Puis plusieurs autres. Un officier de l' « Afrique » demanda aux passagers quels étaient ceux qui voulaient y monter. Aucun de ces derniers n'osait se hasarder sur ces frêles esquifs, qui je dois le signaler, étaient parés, contenaient les rames, les biscuits, etc... « Dans le canot portant le n° 5, les deux quartiers-maîtres et moi, prîmes place. Un jeune mousse, que j'invitais à me suivre, refusa. « Une heure et demie, nous luttâmes pour tenter de nous éloigner du navire. Le lieutenant Thibaud, à un moment donné, sauta dans notre canot. Peu après , le second Cerée était à son tour sauvé par nous. Il était deux heures et demie du matin, lundi. « Une femme, assez forte, essaya une fois, de descendre par une échelle de corde, mais par suite du roulis, effrayée, cette malheureuse, ballottée entre le ciel et l'eau, préféra remonter, malgré les appels de Louis Thibaud qui à tous criait: « Venez ! Venez ! » « Ne pouvant utiliser la chaloupe, plusieurs matelots avaient plongé et s'étaient accrochés aux radeaux, au dernier moment. » Peu après, le drame s'achevait.

Vers la terre...

« Depuis deux heures et demie, lundi matin, jusqu'à sept heures, notre embarcation alla à la dérive. A ce moment, le jour était levé, une voile était hissée au mât. Le lieutenant Thibaud, malgré son entorse au pied prenait le gouvernail. La mer était toujours démontée. « Vers neuf heures, nous étions en vue des Sables-d'Olonne, mais craignant de briser notre canot sur les récifs qui bordent la côte, nous continuâmes notre périlleuse navigation. Enfin... ainsi que nos correspondants vous l'ont télégraphié, à trois heures et demie de l'après-midi, nous arrivions à Saint Vincent-sur-Jard, un pays perdu où se trouve la maison de Mr Clémenceau. « Vous savez le reste. La bonté des habitants, les secours, les soins de toutes sortes qui nous ont été remis et donnés ». canot de L’Afrique avec 9 survivants approchante le Ceylan (photo Jean Nugue) Notes (1) Le paquebot Ceylan a été construit aux mêmes chantiers que l'Afrique. Il a été lancé le 30 juillet 1907. Sa longueur est de 152,60 m et sa largeur de 16,96 m. Il a un port en lourd de 8595 tonnes. Ses 8800 chevaux peuvent le propulser à une vitesse de 16,7 noeuds. (2) Le plateau de Rochebonne est un haut-fond étendue sur une vingtaine de milles. Il se situe à environ trente milles à l'ouest des Sables- d'Olonne. Dès 1863, le Service des Phares et Balises mouille un ponton en bois surmonté de deux grosses sphères lumineuses afin de le signaler. En 1887, ce ponton est remplacé par un bateau-phare automatique visité périodiquement. Ce dernier sera abordé par l'Afrique. Actuellement le plateau est balisé par quatre bouées lumineuses: deux latérales et deux cardinales; elles sont visitées une fois par an par le baliseur Gascogne. Le relèvement des fonds de ce plateau est tellement brusque que lors des tempêtes d'ouest en hiver, la houle peut atteindre des hauteurs de 20 à 25 mètres
le Ceylan
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